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Titel
Gentlemen, prolétaires et primitifs. Institutionnalisation, pratiques de collection et choix muséographiques dans l'ethnographie suisse, 1880-1950


Autor(en)
Reubi, Serge
Erschienen
Bern 2011: Peter Lang/Bern
Anzahl Seiten
753 S.
Preis
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Rezensiert für infoclio.ch und H-Soz-Kult von:
Lionel Gauthier

Tiré de sa thèse défendue en 2008 sous la direction de Laurent Tissot et Claude Blanckaert, l’ouvrage de Serge Reubi propose une histoire de l’ethnographie suisse entre les années 1880[2] et les années 1950.[3]

S’inspirant des travaux de Blanckaert, l’auteur propose d’aborder l’histoire de l’ethnographie suisse «à travers le prisme des institutions» (p. 13), car celles-ci «sanctionnent un état de savoir et une reconnaissance sociale, et contribuent simultanément à l’établissement de la norme sanctionnée» (p. 77). L’auteur identifie les trois types d’institutions ayant joué un rôle dans l’histoire de l’ethnographie suisse: les sociétés savantes, les musées, et les universités. Pour analyser le rôle de chacune, il concentre son analyse sur les institutions basées dans trois villes: Bâle (musée ethnographique, séminaire universitaire, société bâloise des sciences naturelles, société d’ethnographie et de géographie), Neuchâtel (musée d’ethnographie, enseignement universitaire, société de géographie) et Genève (musée d’ethnographie[4]). L’auteur ajoute à cette liste une société a-topique: la Société suisse d’anthropologie et d’ethnologie.

Pour chacune de ces institutions, l’auteur s’intéresse à leur histoire, leur fonctionnement, leur financement. Mais ce sont surtout aux acteurs de ces institutions, à leurs stratégies, leurs intérêts, leurs réseaux, que l’auteur se consacre. Il propose ainsi une micro-histoire de l’ethnographie suisse à travers les parcours de ses principaux promoteurs: les frères Fritz et Paul Sarasin, Leopold Rütimeyer, Felix Speiser, Paul Wirz, etc., à Bâle; Charles Knapp, Théodore Delachaux, Henri-Alexandre Junod, etc., à Neuchâtel, Eugène Pittard et Marguerite Dellenbach à Genève.

Cette focalisation sur les acteurs explique le titre de l’ouvrage, Gentlemen, prolétaires et primitifs, puisque celui-ci rend hommage aux acteurs impliqués dans le développement de l’ethnographie en Suisse. Les gentlemen, qui proviennent de la très grande bourgeoisie protestante et urbaine, sont «les fondateurs des institutions ethnographiques vers 1890». Les prolétaires sont les acteurs qui «professionnalisent, disciplinarisent et popularisent le domaine de recherche». Les primitifs «sont tout à la fois l’objet de l’ethnographie, et l’enjeu et l’arbitre du conflit entre ces deux conceptions de la science» (p. 2).

L’étude de ces institutions permet à l’auteur d’observer que l’institutionnalisation de l’ethnographie en Suisse a suivi une voie originale par rapport à celle constatée dans des pays comme la France, l’Allemagne ou l’Angleterre. Dans ces pays, l’institutionnalisation de l’ethnographie a commencé par la création de sociétés savantes dédiées à cette nouvelle discipline, et seulement après par la fondation de musées et de chaires à l’université. En Suisse en revanche, l’institutionnalisation a débuté par la création de musées, s’est poursuivie avec l’entrée de la discipline dans les universités à la veille de la première guerre mondiale, avant de s’achever par la création de sociétés savantes au début de l’Entre-deuxguerres.

Outre le processus d’institutionnalisation, l’auteur souligne plusieurs spécificités suisses: l’absence de conflit entre tradition philologique et tradition naturaliste qui apparaît dans les autres pays comme constitutif de la naissance de l’ethnographie, la faible intégration de l’ethnographie dans le réseau scientifique suisse et sa faible influence au niveau international, l’absence d’empire colonial suisse, ou la mainmise des élites sur la discipline, alors qu’ailleurs en Europe, elle «constitue un tremplin social» (p. 9).

Dans la seconde partie de l’ouvrage, suivant la voie ouverte par Bruno Latour, l’auteur examine les pratiques scientifiques. Il commence par les pratiques scientifiques sur le terrain, en étudiant le choix des terrains, le financement des expéditions, leur préparation, les conditions de travail sur le terrain, etc. Il nous mène ainsi sur les traces des frères Sarasin à Ceylan, Célèbes et en Nouvelle-Calédonie, ou sur celles de Felix Speiser en Arizona, aux Nouvelles-Hébrides et au Brésil. Il considère ensuite les pratiques scientifiques at home, en particulier les politiques d’acquisitions d’objets, les systèmes de classement, les choix muséographiques, etc. L’auteur peut ainsi montrer que contrairement au processus d’institutionnalisation, qu’il «s’agisse des pratiques de terrain ou des activités muséales, l’ethnographie suisse s’accorde […] pleinement aux normes en vigueur» (p. 650), c’est-à-dire: la persistance de la primauté accordée à la culture matérielle, le développement tardif de l’enseignement universitaire, l’inscription de l’ethnographie dans le paradigme naturaliste, etc.

Au final, l’ouvrage est une contribution importante à l’histoire de l’ethnographie suisse, très peu étudiée jusqu’ici, mais aussi à l’historiographie des sciences humaines qui jusqu’à présent n’a que peu intégré les apports de la sociologie des sciences, notamment parce qu’elle était «le fait de chercheurs établis et reconnus dans le champ disciplinaire étudié qui ont en conséquence produit une historiographie disciplinaire» (p. 3).

[2] C’est au cours des années 1880 que «se mettent en place les conditions de possibilités qui autorisent l’émergence des premières institutions ethnographiques en Suisse autour de 1890» (p. 23).
[3] Au milieu du XXe siècle, l’ethnographie suisse «est devenue un champ unifié dans lequel, en dépit des différences linguistiques ou épistémologiques, les savants circulent» (p. 23).
[4] Genève est en effet «la seule à créer un musée isolé qui ne jouit de l’appui ni d’une société savante, ni d’un enseignement universitaire» (p. 21–22).

Zitierweise:
Lionel Gauthier: Rezension zu: Serge Reubi: Gentlemen, prolétaires et primitifs: institutionnalisation, pratiques de collection et choix muséographiques dans l’ethnographie suisse, 1880–1950. Berne, Peter Lang, 2011. Zuerst erschienen in: Schweizerische Zeitschrift für Geschichte Vol. 62 Nr. 3, 2012, S. 511-512

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Zuerst veröffentlicht in

Schweizerische Zeitschrift für Geschichte Vol. 62 Nr. 3, 2012, S. 511-512

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